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Le tournant de l’Europe. Hommage à Franck Biancheri

Henri de Courtivron

C’est précisément à ce moment si crucial pour l’Europe où sa voix aurait le plus besoin de se faire entendre pour éclairer ces besoins de changement qu’il avait anticipés depuis longtemps que Franck Biancheri nous a quittés. En plus du vide immense qu’il laisse à tous ses nombreux amis, c’est sa grande connaissance des mécanismes européens, la perspicacité de ses analyses et la pertinence de ses recommandations, toujours constructives, positives et judicieuses qui vont manquer à tous ceux qui ont à cœur de construire une Europe à la fois plus forte et plus démocratique.


La construction de l’Europe se trouve aujourd’hui à un tournant essentiel et décisif. En effet son demi-siècle d’histoire donne maintenant suffisamment de recul pour s’interroger sur la pertinence de ses principes fondateurs et sur l’efficacité de son organisation, au moment où le monde change de façon radicale avec une crise financière majeure, résultat d’une addiction coupable aux déficits, et la montée en puissance de nouveaux pays, qui entendent bien obtenir la part du gâteau qui leur revient.

Imaginée au lendemain de la Deuxième Guerre pour éviter que les conflits permanents entre les peuples de la vieille Europe ne se perpétuent, l’idée fondatrice a été de mettre en commun les moyens matériels de préparer une nouvelle guerre pour éviter que l’un ou l’autre des belligérants potentiels puisse en tirer une position de force : c’est ainsi que le charbon et l’acier ont été les éléments fondateurs de l’Europe.

Puis la construction de l’Europe s’est poursuivie plus avant sur la base de deux principes. Le premier était que l’intégration au sein de la communauté européenne devait nécessairement conduire tous les pays membres à adopter progressivement le même modèle économique, donnant ainsi à l’ensemble une homogénéité salutaire et lui conférant une puissance économique lui permettant de conserver son rang dans le concert des nations. Le second était que l’adoption d’une monnaie commune devait aider et accélérer cette intégration.

Force est de constater que ces deux principes n’ont pas fonctionné aussi bien que l’on aurait pu l’espérer et qu’ils correspondent plutôt à des paris perdus.

L’intégration trop rapide de pays se trouvant à un stade de développement moins avancé que les pays fondateurs de l’Europe et situés de l’autre côté de l’ancien rideau de fer a certes permis de faire bénéficier ces nouveaux membres d’un rattrapage économique accéléré. Mais cet élargissement s’est fait au double prix, pour les nouveaux adhérents, d’une fragilisation de leur tissu social avec l’apparition d’écarts importants de revenus, inconnus jusque là, et, pour les anciens membres de la Communauté, de délocalisations de leur industrie, qui les ont affaiblis économiquement, et d’afflux de main d’œuvre qui est venue gonfler leur taux de chômage et les charges sociales induites.

Pendant que cet étalement géographique de l’Europe se poursuivait de façon plutôt bâclée, l’intégration des pays membres et l’harmonisation de leurs systèmes monétaires et fiscaux restaient en suspens, et le riche contribuable français continuait de façon absurde à avoir intérêt à « s’exiler » en Belgique, mettant ainsi en évidence l’échec du premier principe évoqué ci-dessus.

La création de l’euro, en proposant une devise commune à tous les membres de l’Euroland, était supposée, en vertu du deuxième principe fondateur, entraîner la convergence systématique de toutes les politiques monétaires. Il n’en a rien été et l’euro a profité à certains pays qui ont renforcé leur position, l’Allemagne en tête, pendant que d’autres, privés des moyens d’intervention que permettent les ajustements sur leur monnaie, perdaient pied. Il apparaît aujourd’hui clairement que la monnaie unique est finalement comparable au modèle unique de pantalon d’uniforme que l’on imposerait à tous les soldats d’une armée et qui serait seyant pour certains, mais grotesque pour d’autres.

Le bilan qui peut être fait de la construction européenne et de son organisation est mitigé : beaucoup a été fait, les institutions fonctionnent et les règles du jeu sont progressivement fixées et adaptées à l’environnement en perpétuel changement. Mais, au fil du temps, de gros défaut de fabrication ou de croissance sont apparus et auraient besoin d’être corrigés.

Le premier concerne l’identité elle-même de l’Europe : qui sommes-nous et où voulons-nous aller ? La notion même d’Europe n’est pas claire, qui, n’ayant pas su reconnaître ses racines, en est encore à se demander, depuis cinquante ans qu’elle se pose la question, où sont ses limites. Comment le citoyen européen peut-il s’identifier à une Europe dont le contour lui-même n’est pas défini et qui ne peut pas, ou ne veut pas, trancher définitivement pour savoir une bonne fois pour toutes si la Turquie doit en faire partie ou pas. Une réponse claire, quelle qu’elle soit, à cette question élémentaire est indispensable pour que le citoyen puisse adhérer, ou pas, au projet européen. Au passage, une réponse claire de l’Europe permettrait également de normaliser ses relations avec son grand voisin turc.

Le deuxième a trait à l’institution européenne elle-même dans son organisation matérielle de tous les jours. Le système qui a été mis en place, résultat de couches successives ajoutées les une sur les autres au fil du temps, aboutit finalement à une nébuleuse à la complication extrême dans laquelle le citoyen européen se perd, mais où le fonctionnaire européen prospère, protégé par des régimes de privilèges que ne renieraient pas les républiques bananières les plus primaires. Il suffit pour s’en convaincre d’interroger n’importe quel citoyen de n’importe quel pays membre pour mesurer l’étendue de son ignorance sur les mécanismes européens et l’ampleur de son ressentiment sur l’interventionnisme et l’impunité du fonctionnaire européen.

Ce sont ces défauts qui ont peu à peu éloigné les citoyens européens de l’Europe. A ce manque de visibilité et de compréhension des mécanismes de décisions est venu s’ajouter le défaut de démocratie. L’électeur européen est très peu sollicité, et, si son avis ne convient pas, il est détourné par des artifices qui permettent de passer outre. Là aussi, le citoyen interrogé au paragraphe précédent avouera spontanément son ignorance de sa représentation au Parlement européen et sa méconnaissance des mécanismes soi-disant démocratiques mis en place.

Certes, certains hauts responsables commencent à reconnaître les erreurs du passé, comme, par exemple, la naïveté dont il a été fait preuve lorsqu’il s’est agi de prôner le libéralisme sans se soucier de contreparties à exiger de la part des partenaires de l’Europe dans les échanges commerciaux internationaux. Mais ces prises de conscience sont encore trop peu nombreuses et trop timides.

C’est précisément à ce moment si crucial pour l’Europe où sa voix aurait le plus besoin de se faire entendre pour éclairer ces besoins de changement qu’il avait anticipés depuis longtemps que Franck Biancheri nous a quittés.

En plus du vide immense qu’il laisse à tous ses nombreux amis, c’est sa grande connaissance des mécanismes européens, la perspicacité de ses analyses et la pertinence de ses recommandations, toujours constructives, positives et judicieuses qui vont manquer à tous ceux qui ont à cœur de construire une Europe à la fois plus forte et plus démocratique.

Mais son grand sens de la pédagogie et l’énergie insatiable avec laquelle il a parcouru l’Europe dans tous ses recoins les plus reculés ont heureusement largement contribué à faire connaître ses messages à un grand nombre d’Européens de tous âges.

A eux, à nous, maintenant de reprendre le flambeau, forts de ses enseignements et de ses convictions, pour faire avancer son idée maîtresse qui, toujours, revenait à ce besoin urgent et incontournable de plus de démocratie, pour construire et faire prospérer une Europe qui permette de faire face aux multiples défis du monde nouveau qui se prépare.

Henri de Courtivron
Novembre 2012



Les articles de Franck Biancheri à relire:
Sur qui vont tomber les briques du Mur de Berlin ? (Novembre 1989) et Sarajevo 2014
1er marathon démocratique européenOù va l’Europe?” a conduit Franck Biancheri dans 100 conférences dans toute l’Europe pendant Un an (2002/2003)
Time to change EU civil servants legal immunity et Eurorings : Rapprocher les institutions européennes des citoyens
► l”ensemble des ses anticipations sur la crise systémique globale depuis 2006:
GEAB – LEAP2020

In Memoriam : Livre d’Or Franck Biancheri